Humanisme numérique
Blockchain, imaginaires religieux et théologie
Étudier la mobilisation de références religieuses et théologiques dans les discours et élaborations théoriques autour de la technologie Blockchain (impacts politiques, sociaux, économiques).
Les études sur la technologie blockchain se multiplient. Elles envisagent en général les dimensions économiques, sociales et juridiques de ces technologies qui entendent renouveler le contrat social de bien des façons. C’est sans doute ce nouveau contrat social qui génère chez les acteurs principaux des blockchains une propension à multiplier manifestes et discours mobilisateurs, à créer des écoles autour de quelques figures charismatiques et à se référer à une figure prophétique inconnue.
Comme toute technologie, la blockchain mobilise un imaginaire fiévreux, qui influence sa réception mais aussi son développement. En l’occurrence, la technologie blockchain met en question la nécessité d’un tiers ordonnateur dans les relations sociales, propose un idéal de communion et de communication immédiates, bouleverse le système monétaire dont les dimensions religieuses ont été maintes fois soulignées et transforme aussi le rapport au temps et interroge la notion de foi/confiance (système « trustless »). Il n’est donc guère surprenant que les discours et références religieuses ou théologiques foisonnent tout autour.
Ce séminaire de recherche pluridisciplinaire (2019 - 2020), d'une séance par mois, cherche à étudier ce corpus de discours et de manifestes pour décrypter cet imaginaire, singulièrement dans ses dimensions religieuses voire théologiques. En effet, en proposant de réunir les hommes en se passant de toute institution centralisatrice, la blockchain se trouve investie d’attentes au long passé théologique : foi, communion, émergence, communication directe, révélation, etc.
Ce travail inédit, seulement esquissé au détour de tel ou tel article dans la littérature scientifique, apportera un éclairage neuf sur un sujet très actuel.
sous la direction de
Référence bibliographiques
- Tim May, the Crypto Anarchist Manifesto, Nov 1992
- Satoshi Nakamoto, Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System, (White Paper), No publisher, 2008
- Nick Szabo, Smart Contracts: Building Blocks for Digital Markets, Extropy #16, 1996
- Nick Szabo, The God Protocols, 1997
- Deux documents fondateurs : Le whitepaper de bitcoin ; le whitepaper d’ethereum, par Vitalik Buterin
- Document listant les différentes écoles (églises) dans l'écosystème de la blockchain
- Liam Kelly, Blockchain was always a religion. And now it’s got its own church, Wired, 2018
- Becker Katrin, La technologie blockchain et la promesse crypto-divine d’en finir avec les tiers, Études digitales, n° 6, 2018/2, pp. 33-52
- Coeckelbegh Mark et Reijers Wessel , The Blockchain as a Narrative Technology: Investigating the Social Ontology and Normative Configurations of Cryptocurrencies, Philosophy & Technology, mars 2018, volume 31/1, pp. 103–130
- Borisenkova Anna, Narrative Refiguration of Social Events: Paul Ricoeur’s Contribution to Rethinking the Social, Études Ricoeuriennes / Ricoeur Studies, 1(1), 2010, pp. 87–98
- Primavera De Filippi, Bitcoin: a regulatory nightmare to a libertarian dream, Internet Policy Review, 3(2), 2013, pp. 1-12
- Andrew Feenberg, Questioning Technology, New York: Routledge, 1999
- Golumbia David, Zealots of the Blockchain. The true believers of the Bitcoin cult, The Baffler, N°38, mars 2018
- Sheila Jasanoff, Future imperfect: Science, Technology and the Imaginations of Modernity, in S. Jasanoff & S. Kim (Eds.), Sociotechnical imaginaries and the fabrication of power, 2015, (Vol. 1, pp. 1–49)
- Peter-Paul Verbeek, What Things Do; Philosophical Reflections on Technology, Agency, and Design, Pennsylvania University Press, 2005
En partenariat avec
Avec le soutien de
Ce séminaire invite Franck Damour et David Pucheu à étudier un corpus de discours et de manifestes pour décrypter l’imaginaire de la blockchain, singulièrement dans ses dimensions religieuses voire théologiques qui foisonnent dans les discours.
Ce séminaire fait suite à une recherche conduite entre janvier et juin 2020 du département Humanisme numérique du Collège des Bernardins, en partenariat avec ETHICS EA 7446 de l’Université Catholique de Lille.
Sous la co-direction de Primavera de Filippi, CERSA, unité mixte du CNRS et de l’Université Paris II Panthéon- Assas ; Franck Damour, ETHICS EA 7446, Université catholique de Lille ; Gemma Serrano, Département Humanisme numérique, Collège des Bernardins.
Avec les interventions de :
- Franck Damour, historien des idées, chercheur associé au sein du laboratoire ETHICS (EA7446), Université catholique de Lille
- David Pucheu, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, chercheur au MICA (Médiations Informations Communication Arts), Université Bordeaux Montaigne et Université de Poitiers
L’ORIGINE DE BITCOIN : LES MONDES DE NICK SZABO ET HAL FINNEY
Franck Damour, historien des idées, chercheur associé au sein du laboratoire ETHICS (EA7446), Université catholique de Lille
L’apparition de Bitcoin n’est pas advenue soudainement en novembre 2008, au cœur de la crise des subprimes. Elle a été préparée au cours d’au moins une décennie, notamment dans les échanges entre Nick Szabo, Hal Finney et d’autres, avec des moments clés comme la publication de God’s Protocol, de Szabo en 1997. L’analogie théologique développée justement dans l’introduction à ce texte, qui théorise les smart-contracts, soulève une question importante à son égard : s’agit-il de pure facétie, ironie geek ou plutôt d’un indice pour des références religieuses ?
En analysant les textes fondateurs, mais aussi les discussions via mailing lists sur l’extropian ou la cryptographie auxquelles Szabo et Finney ont pris part, il sera question de comprendre si les références religieuses présentes (vocabulaire, imagination, symbolisme, structure) peuvent avoir joué un rôle dans la genèse du Bitcoin.
BLOCKCHAIN ET IMAGINAIRE RELIGIEUX : ENTRE IRONIE ET PROFESSION DE FOI
David Pucheu, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, chercheur au MICA (Médiations Informations Communication Arts), Université Bordeaux Montaigne et Université de Poitiers
Ferments d’une « nouvelle révolution », la Blockchain, les crypto-monnaies, le bitcoin baignent depuis leur entrée dans l’espace discursif dans une rhétorique prophétique aux accents religieux. Difficile à caractériser, cette dimension religieuse semble relever d’une simple analogie destinée à qualifier, sur le ton de la trivialité, les thuriféraires de la Blockchain (se présentant volontiers eux-mêmes comme des « crypto évangélistes ») et les promesses associées aux virtualités de ces techniques de cryptographie. Récurrent dans les discours américains qui encadrent le développement technologique en général et celui du monde digital en particulier, ce recours systématique au référent religieux reste pourtant problématique. Relève-t-il d’une simple stratégie discursive, d’un effet d’annonce, ou serait-il au contraire symptomatique d’un fond de croyances partagées au sein des « communautés » qui se sont agrégées ces dix dernières autour des promesses de la Blockchain ?
Cette intervention analysera en « prenant au sérieux » cette dimension religieuse en dévoilant les différents archétypes judéo chrétiens qui innervent les discours encadrant le développement de la Blockchain (le millénarisme, l’évangélisme, le conversionnisme…). Elle s’intéressera plus particulièrement aux spiritualités post chrétiennes (le New Age notamment) qui ont accompagnés, dès le départ, le déploiement de l’informatique en réseau aux Etats-Unis et plus particulièrement en Californie (autour notamment de la notion ambivalente de « New Edge »).
Ce séminaire invite Rémy Bourganel, Primavera de Filippi, Antony Régent et Alberto Romele, à étudier un corpus de discours et de manifestes pour décrypter l’imaginaire de la blockchain, singulièrement dans ses dimensions religieuses voire théologiques qui foisonnent dans les discours.
Ce séminaire fait suite à une recherche conduite entre janvier et juin 2020 du département Humanisme numérique du Collège des Bernardins, en partenariat avec ETHICS EA 7446 de l’Université Catholique de Lille.
Sous la co-direction de Primavera de Filippi, CERSA, unité mixte du CNRS et de l’Université Paris II Panthéon- Assas ; Franck Damour, ETHICS EA 7446, Université catholique de Lille ; Gemma Serrano, Département Humanisme numérique, Collège des Bernardins.
Avec les interventions de :
- Rémy Bourganel, enseignant, metadesign, programme Grands challenges, Ecole du management de l’innovation, Sciences Po Paris et Umea Institute of design, Suède
- Primavera de Filippi, chercheuse au CERSA, unité mixte du CNRS et de l’Université de Paris II Panthéon-Assas ; chercheuse associée au Berkman Center for Internet § Society, Université de Harvard, Cambridge
- Anthony Régent, leader ecosystems design, OnePoint, Paris
- Alberto Romele, chercheur associé au IZEW (International Center for Ethics in the Sciences and Humanities), Université de Tübingen, Allemagne
« VIRES IN NUMERIS » : SUR LE MYSTICISME TECHNOLOGIQUE DES COMMUNAUTÉS DE BLOCKCHAIN
Primavera de Filippi, chercheuse au CERSA, unité mixte du CNRS et de l’Université de Paris II Panthéon-Assas ; chercheuse associée au Berkman Center for Internet § Society, Université de Harvard, Cambridge
Les blockchains sont des systèmes permettant de créer et de conserver des enregistrements immuables. Sous le capot, elles reposent sur la cryptographie pour valider les transactions sur le réseau et atteindre l'immuabilité.
Cette intervention analysera les différentes idéologies du Bitcoin et d'autres communautés blockchain, et la mesure dans laquelle ces idéologies peuvent être considérées comme une religion implicite de la technologie, comme l'illustre la foi aveugle que l'on accorde souvent aux mathématiques et à la cryptographie. Alors que ce type de religion explicite est souvent considéré comme un comportement irrationnel par de nombreux défenseurs de la blockchain, la plupart des communautés blockchain s'appuient implicitement sur des métaphores religieuses pour décrire le fonctionnement de leur système basé sur la blockchain : du bloc de genèse aux oracles, en passant par les prophéties de Satoshi Nakamoto - ces métaphores sont révélatrices d'une sorte de mysticisme technologique.
Pour Primavera de Filippi, la croyance en l'infaillibilité des mathématiques et de la cryptographie est la principale différence idéologique entre les différentes communautés blockchain : certaines communautés adhèrent au dogme de l'irréversibilité basé sur la croyance que "le code a force de loi" (par exemple Bitcoin), d'autres approuvent l'idée d'un consensus distribué, et sont donc plus susceptibles d'autoriser un changement de protocole s'il y a un consensus sur le fait qu'un tel changement est nécessaire pour remédier à un délit découlant d'un défaut technique (par exemple Ethereum).
Elle souligne également que l'idéologie de l'irréversibilité de la blockchain peut conduire à un manque de mesures préventives contre les erreurs dans un protocole, ce qui pourrait finalement nuire à la communauté dans son ensemble. En outre, elle peut également conduire à un manque de recours juridiques contre les délits basés sur le code.
Elle conclut qu'en cas de délits basés sur le code, les communautés blockchain qui n'adhèrent pas au mysticisme technologique sont susceptibles d'être plus résilientes que celles qui y adhèrent, dans la mesure où elles peuvent s'appuyer sur des solutions non techniques afin d'atténuer ces risques, même si cela nécessite de s'éloigner du dogme de l'immuabilité et de l'irréversibilité.
IMAGES DU BLOCKCHAIN ET RELIGION : IMPLICATIONS ÉTHIQUES ET ONTOLOGIQUES
Alberto Romele, chercheur associé au IZEW (International Center for Ethics in the Sciences and Humanities), Université de Tübingen, Allemagne
Depuis quelque temps déjà, dans des domaines tels que la philosophie des techniques ou les STS (Science and technology studies), l'importance et les implications liés à l'utilisation d’images ont été discutés. Pourtant, peu de discussions ont été menées sur l'utilisation d’images dans le domaine de la communication scientifique. Les images utilisées dans la communication scientifique sont souvent des images produites par des non-experts qui n'ont consulté aucun expert avant de les produire.
Cette intervention s’intéressera aux images de technologies de blockchain que l'on peut retrouver dans les catalogues en ligne d'agences d’images comme Getty Images. Ces images jouent-elles un rôle fondamental dans la constitution de l'imaginaire collectif autour de ces technologies et que, de cette manière, elles finissent également par influencer le processus d'innovation qui leur est lié ? L'imaginaire que ces technologies contribuent à façonner entretient-il une « aire de famille » avec l'imaginaire religieux ?
LA BLOCKCHAIN COMME AFFORDANCE DE RELIGION DE NIVEAU 7 DE LA SPIRALE DYNAMIQUE DE GRAVES
Rémy Bourganel, enseignant, metadesign, programme Grands challenges, Ecole du management de l’innovation, Sciences Po Paris et Umea Institute of design, Suède
Anthony Regent, leader, ecosystems design, OnePoint, Paris
La spirale dynamique est un modèle de psycho/socio-génèse qui permet de caractériser les motivations et les modalités de relation au monde. Elle offre un chemin de construction vers un état de conscience augmenté de soi et de son environnement. Elle est constituée de 8 niveaux, distribués entre 4 espaces.
Les 4 espaces et les 8 niveaux :
- Celui du JE intérieur/individuel. Axe de la compétition, avec 2 valeurs intentionnelles : 1. la survie. 3. le pouvoir.
- Celui du NOUS, intérieur/collectif. Axe de la préservation, avec 2 valeurs culturelles : 2. la sécurité. 4 l’ordre.
- Celui du CELA, extérieur/individuel. Axe du renouveau, avec 2 valeurs comportementales : 5. le succès, 7. les synergies.
- Celui de CEUX-LA, extérieur/collectif. Axe de la coopération, avec 2 valeurs sociales : 6. la communauté, 8. le holisme.
À chacun de ces 8 niveaux correspondent des typologies de religion qui engagent un individu et sa communauté. Chacune est explicitée par des jeux d’affordances de finalités, d’interdits, d’obligations, de rituels, de gouvernance facilitant leur encapacitation, leur actualisation et ainsi leur survie et leur extension.
Les intervenants posent l’hypothèse que les architectures de blockchain instancient les affordances d’une religion de niveau 7 et les conditions d’émergence d’une religion de niveau 8.
Suite à la recherche de l'équipe du département Humanisme numérique du Collège des Bernardins sur Blockchain, imaginaires religieux et théologie, sous la direction de Franck Damour et Primavera de Filippi, découvrez le texte de quatre auteurs, dans le revue en ligne Zygon, en cliquant ici :
- Réseau, cryptographie et le monde à venir : un éternel millénarisme américain?. David Pucheu
- La première blockchain : Bitcoin, Entropie, Religion. Franck Damour
- L'attraction perverse : l'idolâtrie, la pornographie et la fabrication de l'infrastructure. Cassandra Dana et Nathan Schneider
- Le millénaire financier. Finn Brunton