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Écologie

Peut-on réconcilier travail et écologie ?

Publié le
29/11/23

En décembre 2022, Grégory Quenet, titulaire de la chaire « Laudato Si’. Pour une nouvelle exploration de la terre », et Jean-Michel Frodon, critique de cinéma et professeur à Sciences Po Paris, lançaient aux Bernardins « Manières d’habiter la terre », un festival qui interroge ce qui nous lie à cette terre. Nous les retrouvons un an plus tard pour une deuxième édition autour du thème « travail et écologie ». Des œuvres à visionner du 2 au 6 décembre 2023 tous les soirs au cinéma le Nouvel Odéon ! Entretien avec les deux organisateurs.

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Avec Grégory Quenet et Jean-Michel Frodon

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Quel sens donnez-vous à l’intitulé de cette édition du festival ?

Comme le dit Marx : « le travail est d’abord un phénomène qui unit l’homme et la matière ». Comment alors est-il devenu ce qui les sépare ?

L’enjeu social autour du travail semble inconciliable avec les politiques environnementales : nombre de syndicats et de responsables politiques se montrent réticents face aux politiques qui prônent la décroissance. Il demeure de fait très difficile de tenir un discours écologique dans un milieu ouvrier, où cette approche est jugée déconnectée de la réalité du travail. Pourtant l’exploitation du travailleur est profondément liée à celle des ressources.

Pourquoi en est-on venu à opposer travail et écologie ? Par cette deuxième édition du festival « Manières d’habiter la Terre », nous souhaitons réfléchir à cette question avec la perspective de retrouver cette unité perdue.

Une des pistes de réflexions que nous propose le cinéma pour repenser le travail au regard des enjeux écologiques ?

Le cinéma défait la vision anthropocentrique qui accorderait aux êtres humains le monopole du travail. Dans certaines situations, la nature produit, crée, agit et contribue à la création de valeur conjointement à l’action humaine qui sans elle n’est rien.

Le cinéma contribue à rendre visibles toutes les formes de travail qui sont invisibilisées et les liens qui unissent les êtres humains et non humains.

Contre la vision contemporaine du capitalisme qui fait croire que la source de la richesse réside dans la dématérialisation et l’économie de l’information supposément dématérialisée, le cinéma contribue à rendre visibles toutes les formes de travail qui sont invisibilisées et les liens qui unissent les êtres humains et non humains.

Que dit le cinéma de notre rapport à la nature ?

Le cinéma, qui est une forme culturelle de la modernité et un des développements de la révolution industrielle, a participé de cette vision du monde qui voit dans la nature une extériorité dans laquelle puiser sans limites. D’innombrables films célèbrent ainsi la puissance humaine, la conquête, l’extraction... "Sky is the limit", qui signifie qu’il n’y aurait pas de limites. Nous ne savons que trop bien désormais combien c’est faux et dangereux. Mais des films ont aussi montré d’autres relations à l’environnement, à la diversité du non-humain comme partie prenante du même monde à habiter.

C’est de manière créative, inconsciemment le plus souvent, que le cinéma a su prendre en charge les enjeux d’environnement.

Ainsi, le cinéma aide à réfléchir aux interactions constantes entre travail et écologie en ce qu’il a réactivé les grands mythes fondateurs de la prise de possession de la nature : les conflits entre éleveurs et cultivateurs, l’affrontement entre nomades et sédentaires, les fronts pionniers et la conquête du territoire, le sauvage et le domestique …

Vous avez choisi pour votre programmation des œuvres cinématographiques éclectiques, bien au-delà du « cinéma vert ».  

Il s’agit de montrer tout d’abord qu’il existe d’autres façons pour les films de s’emparer de la question écologique que par un militantisme vert, aussi nécessaire soit celui-ci, et c’est précisément ce qui nous a conduit à proposer ce festival aux Bernardins : c’est de manière créative, inconsciemment le plus souvent, que le cinéma a su prendre en charge les enjeux d’environnement.

Les films que nous présentons ne répondent pas directement à une vocation écologique mais ils ont pu porter une vision complexe et sensitive de la nature.

Les documentaires écologiques se sont multipliés depuis une vingtaine d’années sur le grand écran, reléguant la question esthétique au second plan. Les films que nous présentons ne répondent pas directement à une vocation écologique mais ils ont pu porter une vision complexe et sensitive de la nature. C’était là, sans avoir été dans l’intention des réalisateurs ni forcément au centre de l’attention des spectateurs.

Par cette diversité, tant dans les sujets que dans les choix artistiques, il s’agit aussi de présenter un cinéma qui explore diverses manières d’habiter, d’exister. En somme, la question fondamentale que nous poserons durant ce festival est la manière dont le cinéma peut contribuer à faire surgir d’autres manières d’être dans et au monde, pour œuvrer à un futur plus vivable.  

Le festival Manières d'Habiter la terre se tiendra du 2 au 6 décembre au Cinéma le Nouvel Odéon, au 6 rue de l’Ecole de médecine 75006 Paris :

  • Ombre au Paradis d’Aki Kaurismäki
  • Sweetgrass de Lucien Castaing Taylor
  • Le Barrage d’Ali Cherri
  • Entre nos mains, de Mariana Otero  
  • Winter Brothers de Hlynur Palmason

Le festival se conclura par une table ronde suivie de la projection de deux court métrages Ce vieux rêve qui bouge d’Alain Guiraudie et La mer et les jours de Raymond Vogel et Alain Kaminker.

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